Il me faut du temps après cette belle soirée pour m’endormir, je suis encore réveillée lorsqu’il commence à pleuviner un peu avant 1h du matin. Etant dehors à fermer au-dessus des instruments de bords, je vois LIDA GIRL très proche de nous. J’attache un pare-battage puis les bateaux se séparent.
Quelques minutes plus tard le
vent arrive comme un boulet de canon. Je regarde aux alentours un 3ème
bateau se trouve entre LIDA GIRL et WOODAN tout près du pont. L’adrénaline
monte, nous étions les 3 bateaux les plus proches du pont, c’est un bateau qui
a chassé (dérape car son ancre ne tient pas) et il est vraiment tout près du
pont.
KEALOHA chasse
C’est urgent, je prends le
téléphone et appelle Eliza, car ça ne peut être que les hongkongais KEALOHA.
Cyliane alertée par nos bruits monte, je lui balance le téléphone et lui dis de
leur dire qu’ils chassent. Pendant ce temps Stéph et moi descendons rapidement
notre annexe. J’entends Cyliane leur répéter qu’ils chassent.
Nous ne savions pas s’ils
étaient réveillés ou non car il n’y a aucune lumière, mais ils l’étaient,
certains bateaux les ayant vu passer ont soufflé dans leurs cornes de brume,
mais bon, quand un équipage dort, il n’y a pas meilleur moyen que d’aller taper
à la coque et je suis surprise que nous sommes les seuls à bouger.
J’ai juste le réflexe
d’attraper une liquette qui traîne pour couvrir mon torse nu et nous sautons
dans l’annexe pour aller les aider.
LIDA GIRL chasse aussi
Stéphane me demande quel
bateau on veut aller aider en premier, c’est là que je réalise l’horreur, 2
bateaux sont en train de chasser et tous deux sont proche du pont.
On entend Mike hurler des
instructions à Maja qui hurle en retour, mais le bruit du vent, de la pluie,
des moteurs, la communication n’est pas facile. Stéph me dépose sur LIDA GIRL pour
aller aider Maja. Je déboule comme un canon frôlant Mike posté à la barre pour
aller prêter main forte à l’avant du bateau alors que Stéphane se rend vers
KEALOHA.
Pas de place
Nous devons urgemment
monter l’ancre mais voilà, les deux bateaux sont tout près l’un de l’autre et
se bloquent le passage. Tous deux se trouvent très près du pont et risquent de
se faire démâter, car de taper dans le pont risque de faire tomber le mât.
Eliza de KEALOHA ne réalisant pas la situation de LIDA GIRL n’arrête pas de
crier à Mike de se pousser. LIDA GIRL toujours en train de chasser se trouve
coincé entre KEALOHA et des maisons sur pilotis et il nous est impossible de lever
l’ancre car ils sont en train de passer juste devant nous.
LIDA GIRL perd un moteur
Nous n’avons pas beaucoup
de place, nous arrivons en bordure de la rivière contre les maisons sur pilotis
et voilà que la corde retenant une plateforme de pêche se prend dans l’hélice
tribord, nous perdons un moteur. A fond avec le moteur bâbord (qui a tendance à
pousser à tribord contre les maisons sur pilotis) j’ai pris la barre alors que
Mike avec l’aide de Stéphane depuis l’annexe coupe l’épaisse corde d’un
diamètre de 2cm.
On perd le guindeau
Je suis de retour à l’avant
avec Maja, on continue de monter l’ancre mais voilà, rien ne bouge et il nous a
fallu un moment pour s’en rendre compte. Alors que je cherche où s’entasse la
chaîne pensant que c’est le problème, Maja arrive en courant pour voir le
guindeau et glisse, je la vois s’étaler et je l’imagine avec une jambe cassée,
heureusement ce n’est pas le cas.
Mike et moi échangeons à
nouveau nos positions afin qu’il aille détacher la patte d’oie (deux cordes
attachées à la chaîne d’ancre pour enlever la tension du guideau) pendant que
j’essaye de maintenir le bateau en place. Chaque bateau étant différent, je
n’avais pas vu qu’elle était encore attachée ni comment la détacher.
Une fois le problème réglé
nous échangeons à nouveau et je continue de monter l’ancre. Après quelques
mètres le guindeau (moteur qui remonte la chaîne d’ancre) s’arrête, il ne
fonctionne plus, ni en avant ni en arrière. La protection thermique pour éviter
une surchauffe s’est enclenchée, le guindeau fonctionnera parfaitement quelques
heures plus tard.
On traîne l’ancre
Plus de guindeau, un moteur
en moins… nous n’avons pas d’autre choix que d’avancer le bateau en traînant
l’ancre sans savoir le nombre de mètres de chaîne qui est encore dehors.
Mike m’a remis à la barre. C’est
l’angoisse, le bateau avance un peu mais je ne vois rien ni devant, ni sur le
côté bâbord. LIDA GIRL est un Catana 47 qui a les postes de pilotages à
l’arrière sur le côté, la cabine du bateau crée un énorme angle mort, angle
dans lequel se trouve 2 bateaux, KEALOHA en mouvement et OLENA à l’ancre.
D’ailleurs Stéphane m’a crié « tu ne fonceras pas dans OLENA ». Je
crie à Mike que je ne vois rien alors que je vois le haut du mât de KEALOHA
tout proche, il me répond « t’inquiètes, va tout droit », sur quoi je
lui réponds qu’OLENA est ancré devant et là il me répète « va tout
droit ».
Il faut s’imaginer, il fait
nuit, il pleut fort, il y a beaucoup de vent, on ne voit pas grand-chose, nous
devons crier pour nous entendre, nous sommes tous tendus dû à la situation, il
faut agir vite et chacun fait ce qu’il pense, on n’a pas le temps se briefer,
parfois on se crie des ordres ou info quand l’un ou l’autre voit un truc. On
doit agir comme une équipe rôdée alors que ce n’est pas le cas, on a des
bateaux complètement différents et jamais nous avons navigué ensemble sur un
même bateau.
LIDA GIRL avance gentiment,
Stéphane pousse souvent l’avant tribord avec l’annexe afin de nous maintenir
dans la bonne direction. Un catamaran sous un moteur à vitesse réduite a
tendance à naviguer en cercle (de grand diamètre). Ni Stéphane ni moi ne voyons
les autres bateaux. Je continue de regarder les mâts au-dessus de la cabine et
de me persuader que tout va bien, qu’on va réussir. On longe une passerelle sur
pilotis de très près, mais ça passe.
Au bout d’un moment Mike
reprend la barre, ouf ! Nous continuons d’avancer, Stéphane s’arrête vers
9 LIVES et le voyant discuter (informant Mark de la situation) je l’appelle car
ce n’est pas le moment, on arrive vers une autre passerelle sur pilotis mais là,
c’est chaud. Stéphane pousse, je le vois déjà coincé entre les pilotis et le
bateau mais il a le bon réflexe de tourner et de sortir de là juste à temps.
Mike avance, la passerelle est très proche, on va toucher le coin arrière, je crie
à Mike de mettre plus de gaz mais il est déjà à fond et par chance la
passerelle passe à environ 10 centimètres du coin arrière, c’était chaud !
L’ancre croche et on
s’approche de rochers
Voilà qu’on est arrêtés
dans l’élan. C’est comme si nous étions posés sur le sol, mais il y a assez
d’eau, c’est l’ancre qu’on traîne toujours qui s’est crochée quelque part. A
tribord nous voyons une ligne de rochers sortir de l’eau. Chaque fois que
Stéphane, qui pousse toujours l’avant tribord, relâche un peu les gaz de
l’annexe je vois les rochers s’approcher. Mike hurle de pousser plus fort, mais
Stéphane est à fond.
Je cours de l’autre côté du
bateau et hurle les mains en entonnoir en direction de 9 LIVES qu’on a besoin d’aide
pour pousser. En m’entendant, Mike me dit de prendre leur annexe. Un peu
scotchée je me demande pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt. Sous stress on
fait plein de choses mais notre cerveau a tendance à oublier des trucs.
Maja et moi descendons
l’annexe en toute vitesse, c’est un peu chaotique du fait que le moteur bâbord
est toujours à fond en marche avant. Je saute dans l’annexe et vais prêter main
forte à Stéphane pour pousser l’avant tribord de LIDA GIRL.
Mark n’a rien compris de ce
que je lui criais mais il m’a entendue crier et connaissant la situation il est
venu. Il prend la place de Stéphane, qui lui va à l’arrière tribord pour
pousser le bateau. 3 annexes et un moteur ont été nécessaires pour remettre
LIDA GIRL en route.
Angoissée pour OLENA
Mike zigzague entre
plusieurs bateaux ancrés pour trouver un nouveau mouillage suivi des 3 annexes.
Alors que je vois qu’ils n’ont actuellement plus besoin de moi j’échange
d’annexe avec Stéphane et retourne sur OLENA. Je suis angoissée depuis qu’on ne
l’a plus en vue. Partis en urgence nous n’avons pris aucune VHF, les enfants
n’ont aucun moyen de nous contacter en cas de problème. Ce serait le comble
d’aider un bateau en détresse et que son propre bateau avec ses enfants se
retrouvent en situation de détresse.
Mais OLENA n’a pas bougé,
tout va bien. Je monte à bord et vois mes 2 enfants (Elina n’étant plus à bord
actuellement) en tenue de pluie, ils ont mis des pare-battages des 2 côtés du
bateau et font la ronde pour surveiller que tout va bien. Cyliane a réveillé
son frère et ils ont assuré la sécurité d’OLENA tout seuls sans instruction. Je
suis admirative !
Tous en slips
Comme il fait environ 32°C
la nuit, nous dormons tous à moitié nus et l’anecdote marrante de cette nuit,
c’est que personne n’a eu le temps de s’habiller, nous sommes tous en
sous-vêtements ! J’ai eu le réflexe d’attraper une liquette ce qui n’a pas
été le cas de Maja, qui porte un linge (serviette pour les français) autour de
son torse.
Je suis trempée, je
grelotte. La pluie diminue un peu la température, le vent et le fait d’être
mouillés, on a froid. Je me sèche, me revêtis d’habits secs même si je sais
qu’ils seront mouillés bientôt et enfile une veste de pluie avant de retourner
prêter main forte à LIDA GIRL. Cette fois j’ai pris une VHF, les enfants
peuvent nous contacter.
A l’eau dans la rivière à
crocodiles
Ils ont fini de réancrer
LIDA GIRL au moment que j’arrive.
Mike se prépare à sauter à
l’eau pour enlever les filets et restes de corde autour de son hélice. Je me
tais et je prie très fort pour qu’aucun crocodile ne soit dans les parages, car
il y en a dans cette rivière ! Je sais qu’il est impossible de sortir de
là avec un seul moteur, Mike n’a pas le choix. Il n’en a pas pour long, Mark
est allongé sur la plage arrière illuminant l’eau et ramassant les filets que
Mike coupe.
Le moteur tribord est fonctionnel
à nouveau. Tout va bien, l’action de
sauvetage est terminée, chacun retourne sur son bateau.
Plein d’adrénaline
Seconde anecdote marante :
à environ 2h30 du matin tout l’équipage d’OLENA est assis autour de la table en
train de boire du thé chaud. La discussion est très animée, chacun racontant
l’aventure de cette nuit de son point de vue. Nous sommes tous sous adrénaline,
impossible d’aller dormir. Les enfants se couchent peu après 3h, moi je me
couche vers 4h, Stéphane me rejoint peu après 7h, après avoir décommandé la
voiture pour le tour prévu le lendemain avec LIDA GIRL au parc national de
Kinabalu. Mais voilà que son téléphone sonne, suivi de la visite de LIDA GIRL
venant nous remercier. C’est vers 11h que Stéphane trouvera finalement le
sommeil.
Conclusion
Nous avons eu beaucoup de
chance cette nuit car nous aurions pu perdre 2 bateaux de notre flotte. Sur les
17 bateaux au mouillage, 5 ont chassé. L’un de 10 mètres, un autre de 250
mètres, tous deux n’ont pas eu besoin de réancrer. Les 3 autres ont dû réancrer
mais seul les 2 ont été en situation de détresse.
Eliza nous apprend que leur
mât a tapé dans le pont ! Raymond, son mari, est monté en haut du mât 2x,
le seul dégât qu’il a vu est lampe d’ancrage cassée. C’est incroyable la chance
qu’ils ont eue.
L’un a certainement
entraîné l’autre
Eliza nous explique qu’à un
moment leur ancre s’est accrochée dans une corde ce qui a arrêté leur
progression rapide contre le pont. Mike nous a raconté avoir vu la vitesse à
laquelle chassait KEALOHA, eux ne bougeaient pas puis brusquement ils se sont
mis à chasser. Quand on repense aux positions des bateaux, KEALOHA étant sans
cesse tout proche juste à côté ou devant LIDA GIRL, il est très probable que la
fameuse corde qui a ralenti KEALOHA était en fait la chaîne d’ancre de LIDA
GIRL.
Vent et courants
Nous avons mesuré 34 nœuds
de vent maximum, certains ont mesuré 38 nœuds (tous les appareils ne sont pas calibrés
pareil). Peu importe, le vent n’a pas soufflé si fort que ça, mais plusieurs
ancres n’ont pas tenu du fait qu’il est arrivé comme un coup de canon. De plus
avec les courants des marées, les ancres se sortent de la boue et se réancrent
à chaque changement de direction, peut être que certains n’étaient pas encore
bien ancrés.
Mauvaise chaîne
KEALOHA n’a pas une bonne
chaîne, ils ont 30m de chaine en acier inox de 8mm de diamètre. Eliza
m’explique qu’ils étaient novices quand ils ont acheté le bateau.
Nous avons tous été novices
un jour et nous continuons tous d’apprendre de nos erreurs. Nous leur avons
expliqué les 3 problèmes.
·
On leur avait déjà dit qu’ils
devraient acheter une chaîne bien plus longue. Ce n’est pas la première fois
qu’on a dû les aider car ils chassaient.
·
L’acier inox est moins
lourd que l’acier zingué, qui lui rouille, sur ce point chaque chaîne a son
avantage et inconvénient.
·
Nous leur avons conseillé
de changer pour une chaîne de 10mm, c’est plus lourd au mètre et c’est
généralement les chaînes qu’on trouve sur les monocoques. Ce changement de
diamètre demande un changement de barbotin (ce qui entraîne la chaîne sur le
guindeau), mais ça vaut la peine pour pouvoir dormir sur ses 2 oreilles et de faire
des escales en toute confiance.
Ils quittent bientôt le
rallye pour rentrer à Hong Kong où ils feront ces changements.