Dérive en pleine nuit noire

Vers 2h du matin je me lève, jette un œil à l’alarme d’ancre, je vois les lumières du village s’éteindre d’un coup, c’est le blackout, je retourne me coucher. Je n’arrive plus à m’endormir. J’écoute les bruits, nous avons toujours encore 4 beauforts de vent, les vent chante un peu dans les haubans.

2h30 voilà que le vent se lève à 8 beauforts d’un coup. L’alarme d’ancre se met à crier de suite. Stéphane se lève et me dit qu’il veut contrôler la tablette, je lui dis qu’il n’y a pas besoin, on a chassé, on a déjà 85m de profondeur sous le bateau. Il pleut à verses, si fort que nous ne voyons même pas la mer avec nos torches, la lumière se reflétant sur les gouttes de pluie.

Nous dérivons en pleine nuit noire, il n’y a pas de lune pas d’étoiles et nous ne pouvons même pas voir autour du bateau si nous dérivons dans un DCP. Etrangement nous sommes tous les deux très calmes (Stéphane l’est toujours, le « étrangement » c’est surtout par rapport à moi), on se regarde et plusieurs fois on se pose la même question « on fait quoi ? ». Nous n’avons pas la réponse, donc on ne fait rien.

Nous avons la chance que le vent nous pousse loin de la terre, nous avons bien 18km de battement avant la prochaine île. Nous dérivons à 1.7 nœuds (3.15 km/h), on pense que si l’on heurte un DCP à cette vitesse ça ne doit pas faire beaucoup de dégâts. Mais nous avons encore 65m de chaîne plus l’ancre qui pend et avec ce déluge, ce n’est pas trop le moment d’aller à l’avant du bateau pour la rentrer. Nous espérons ne pas heurter de DCP pour ne pas se prendre l’ancre dans l’un de ces dispositifs. Ayant du réseau internet nous voyons sur les images satellites qu’un second front suit le premier, cette situation va durer un bon moment.

La pluie diminue en intensité, nous mettons nos combinaisons de snorkelling (une combinaison en matière de maillot de bain) que nous avons sous la main et nous allons à l’avant du bateau remonter l’ancre. Je suis à côté du guindeau (moteur qui remonte l’ancre) pour bien étaler la chaîne et j’entends le mal qu’il a pour monter tout ce poids. Quand il reste environ 25m à remonter, le moteur tourne bien plus facilement, c’est bon, il a tenu bon ! Nous retournons à l’intérieur trempés et gelés.

Les vagues deviennent de plus en plus désagréables, les filles se sont levées car elles ont remarqué que quelque chose cloche. Après nos explications et voyant notre calme, Elina retourne se coucher en disant qu’on a qu’à l’appeler si nous avons besoin d’aide. Cyliane reste un peu pour observer. Ça ne va pas long que même Timeo se réveille, lui qui a un sommeil de plomb c’est étonnant.

Là ce n’est plus possible, nous nous faisons malmener par les vagues. Je remets ma combinaison mouillée avec une veste de pluie par-dessus pour aller faire le guet à l’avant du bateau. Je veux mettre mon gilet de sauvetage mais Stéphane pense qu’avec cette pluie et les vagues il risque de se déclancher (gilet automatique). J’opte donc pour prendre un des gilets de mousse que nous avons à l’avant du bateau. Malheureusement une fois à l’avant du bateau, avec ces vagues et la pluie, c’est un peu dangereux d’aller au fond de la cale en chercher un.

Je m’accroche à la voile avant, une torche à la main pour balayer l’avant du bateau pour que Stéphane puisse rebrousser chemin gentiment sur notre track. Je rage contre moi-même, de nuit à l’avant du bateau sans gilet et sans être attachée. De plus avec la pluie j’ai la plupart du temps les yeux fermés, j’espère que Stéphane regarde car moi je ne vois rien. Pourquoi n’ai-je pas pensé à prendre un masque de plongée ! Puis voilà que le village a à nouveau un blackout. Nous naviguons par nuit noire contre la terre où il n’y a plus aucune lumière, c’est assez angoissant. Heureusement, au bout de quelques minutes la lumière revient.

Voilà Stéphane qui me crie « à gauche », eh oui, il a bien vu, nous passons à une dizaine de mètres d’un DCP ! Nos anges gardiens ont bien pris soin de nous pendant notre dérive, merci !

Nous n’allons pas jusqu’où nous avions ancré, il y a des bouées et avec ce vent fort sur un sol qui tombe à pic, nous chasserions à peine l’ancre posée. Nous arrêtons les moteurs et nous laissons dériver à nouveau jusqu’à ce que les vagues dérangent trop. Le jour se lève pendant notre 3ème dérive, je réveille Stéphane qui s’est un peu allongé au salon pour reprendre la route.

 

Conclusions


DCP dans la baie d’Ambon & la baie à l’ouest de Seram (où nous avons dérivé de nuit)

Jamais nous n’avons attendu le lever du jour si impatiemment. Mais ça aurait pu être pire, le front aurait pu arriver à 19h (il fait déjà nuit noire à cette heure) !

Nous nous posions souvent la question « quoi faire », nous n’avions pas de réponse et n’avons rien fait, et ceci était la chose à faire. Ne rien faire ! Se laisser dériver et attendre.

Comme souvent, les ennuis arrivent quand on doit être à une certaine date à un certain endroit. C’est une chose à éviter.

Au moment où j’écris ces lignes, nous avons traversé la moitié du pays et jusqu’ici, cette baie avec celle d’Ambon sont les endroits où il y a le plus de concentration de DCP. Nous avons eu énormément de chance de ne pas en heurter un.