Nous étions dans le mouillage le plus grand de la région, assez proche de Papeete, quand des officiels sont passés nous voir avec une invitation à une réunion d’information publique sur le projet de réglementation du mouillage, qui sera tenu par le ministre de la Polynésie Française Jean-Christophe Bouissou. Le mouillage va être interdit d’ici sous peu et le ministre cherche à savoir les besoins afin de trouver des solutions. Sa démarche est exemplaire ! Mais la réunion ne s’est pas tout à fait déroulée comme imaginée.
Ils vont renflouer une partie de la baie pour gagner de la
terre, et retrouver ainsi le littoral d’antan, afin de faire un village
polynésien avec un gros hôtel, devant lequel il sera interdit de mouiller.
L’information a été suivie par l’énumération des préjugés
sur les voileux (plaisanciers). Par exemple que nous faisons pipi-caca dans
l’eau, alors qu’un grand pourcentage de l’île n’est pas encore branché au
réseau de la station d’épuration et se déverse également dans le lagon.
« Il faut bien commencer par quelque part » a dit le ministre.
Il aborde le gros problème des épaves, car certains
abandonnent leurs bateaux aux mouillages. Ils ne peuvent rien faire, car
légalement, le bateau a un propriétaire. Ces bateaux finissent par couler un
jour (l’un d’entre eux a coulé une 10aine de jours après la rencontre) et ça
fait de gros frais au gouvernement polynésien. Puis il nous montre des photos
des bateaux au mouillage, classés par état dont ils estiment leur maintenance.
Vers un monocoque acier, apparemment en ordre mais ayant 3 traînées de rouille,
le ministre a dit que c’était de la pollution visuelle.
Il a voulu savoir si nous irions à la marina s’il y avait
plus de place. Presque tous ont répondu non, à cause du prix et aussi en
comparant la vie à la marina avec un campement sur le parking d’un supermarché.
Le ministre voulait savoir le nombre de bateaux qui habitent
la baie depuis un certain temps et le nombre de bateaux qui sont des visiteurs.
Etant venus nous inviter le jour d’avant et étant passés qu’une seule fois,
nous étions peu nombreux. Malgré cela, le ministre a déclaré que vu qu’il y
avait peu « d’habitants », il n’y avait donc pas de problème puisque
nous sommes majoritairement des visiteurs !
Le problème c’est les visiteurs ! Le ministère fait
tout pour augmenter le tourisme. Pour attirer les voileux, ils ont changé la
durée de séjour autorisée des bateaux en Polynésie en la passant de 6 mois à 3 ans et ont réduit de beaucoup la taxe de
papeetisation (pavillon polynésien) pour ceux qui veulent rester. De plus en
plus profitent d’y rester plusieurs saisons et chaque année, environ 400
bateaux font la traversée pour y venir. Tahiti est presque un passage obligé, certains
y font un petit stop pour le réapprovisionnement, d’autres restent
« bloqués » des semaines, voire plus, pour des réparations et/ou à
attendre des colis avec des pièces de rechange. Il y a des chantiers navals sur
d’autres îles, mais ils sont pas mal bondés, et c’est à Tahiti qu’on trouve le
plus de matériel. C’est aussi à Papeete que se trouvent les médecins et
dentistes.
Nous sommes beaucoup trop nombreux, c’est un fait, ce
pourquoi on ne se sent pas toujours les bienvenus dans les îles de la Société.
A Moorea, certains mouillages sont recensés pour 5-10 bateaux, on y trouve une
trentaine à l’ancrage ! Pas étonnant que les locaux en ont marre. C’est
pareil pour nos déchets, à Moorea on avait un container pour nous, il nous a
été enlevé car la société de voile ne payerait pas assez. On ne sait plus trop où
mettre nos déchets sans se faire gronder par les locaux. A Raiatea, des
pirogues sont venus brandissant une grosse pince pour faire partir un voilier,
sinon ils lui coupaient la chaîne ! Bon, on ne sait pas non plus s’il était
ancré trop près du bord et avait peut être refusé de se déplacer, car pour les
polynésiens, le lagon fait partie de leur jardin.
A présent, ils veulent interdire le plus gros mouillage de
Tahiti (plus de 100 bateaux en haute saison). Les mouillages proposés sont en
grande partie des mouillages existants, avec des corps morts (bouées) qui sont
tous occupés avec une liste d’attente. Les nouveaux mouillages proposés ne
couvriraient même pas 50% de celui qui va être interdit, et pour l’instant ils
sont à une durée limitée à 48 heures. Mon ressenti imagé : La Polynésie
fait tout pour amener les touristes et à leur arrivée, elle leur ferme les
hôtels de la ville principale sous le nez.
Le ministre a quand même pris note de la nécessité d’une
place hors eau pour pouvoir y laisser les bateaux pendant plusieurs mois
pendant l’absence des propriétaires, afin de libérer certains corps morts. Pour
les voileux qui suivront derrière nous, espérons que ça aboutira à quelque
chose.
A la fin de la rencontre, j’ai été interviewée par la télé,
qui a filmé une bonne partie des échanges.