On lève l’ancre, mais à nouveau, la chaîne s’est prise dans les coraux. Il y a tant de patates de corail, on a beau poser l’ancre sur une surface de sable, ajouter des bouées à la chaîne, il y a toujours un bout de chaîne qui va se coincer quelque part. Stéphane a dû sauter à l’eau et faire quelques apnées pour nous décoincer.
Le courant de la passe est sortant, ayant les safrans à
l’avant des hélices, nous devons faire 2 nœuds de vitesse sur l’eau pour être
manœuvrables, c’est-à-dire un minimum de 2 nœuds de plus que la vitesse du
courant, qui sera avec nous. Nous laissons donc une bonne distance entre BELUGA,
devant, et nous pour entrer dans la passe. Que j’ai horreur de ces passes, à
peine entrés voilà l’angoisse qui me prend. Je suis vraiment heureuse que
Stéphane soit un capitaine si serein, il manœuvre en douceur et s’adapte à la
situation comme s’il avait fait ça tous les jours. On est passés 30 minutes
après la marée haute, mais nous avions déjà 3 nœuds de courant sortant. Comme
le courant était dans le sens opposé à la houle, il y avait des vagues
inconfortables à la sortie, tel de l’eau ou de l’huile qui bout. Ça nous a bien
secoués. A un moment, on entend un gros « boum », Elina a cru qu’on
avait tapé dans quelque chose, mais non, c’était qu’une vague, c’est pour dire
la force avec laquelle les vagues nous fouettent parfois.
Voici un bon descriptif des passes des Tuamotu, trouvé dans
le livre “Le coureur d’atolls” de Jean-Pierre Marquant :
De 50 à plus de 1’000 mètres de large, les passes des Tuamotu vident et remplissent les lagons avec une régularité de métronome. Parfois de fortes houles traversent le platier et remplissent la mer intérieure de centaines de millions de tonnes d’eau du large. Ce surplus, prisonnier de la barrière, ne peut s’échapper qu’au travers de ces goulets d’étranglement où la vitesse du courant devient torrentielle…. Ce fleuve puissant, souvent impétueux, crée un mascaret quand la marée est descendante.
La traversée
Les vents sont instables et faibles, nous choisissons de
faire du moteur N-E jusqu’à être à l’arrière de l’atoll voisin. BELUGA et
FOLAVOALH sortis 2h après nous, prennent un cap plus au nord. Les deux premiers
jours et la première nuit furent très calmes, nous étions pour la plupart du
temps au moteur. La lune est belle et se couche peu avant le lever du soleil,
ce qui est une grande aide durant nos quarts de nuit. Du fait que nous
naviguons contre l’est, le jour se lève déjà à 4h du matin, heure de Tahiti.
Nous avancerons notre montre d’une demi-heure à notre arrivée aux Marquises.
Saint-Nicolas n’est pas passé nous amener des cacahouètes, mandarines et chocolats, il ne nous a certainement pas trouvés perdus entre deux archipels. Mais nous avons fait des « Gritibänz », ces petits bonhommes faits avec de la pâte à tresse. Nous avons également profité de faire une tresse, ça faisait des mois que nous n’en avions plus fait. Notre four à gaz n’est pas idéal pour la cuisson des pains, tartes, pizzas… Comme il est impossible de peser correctement les ingrédients en mer, car la balance monte et descend de plusieurs centaines de grammes selon les vagues, on a fait « au pif » et la pâte contenait beaucoup trop de beurre, c’était bon ! Le four en marche on a profité de faire un banana bread. OLENA répandait de bonnes odeurs de boulangerie.
La météo des îles du
Desappointement
Nous passons à l’est des îles du Desappointement, nos deux
bateaux amis, avec lesquels nous avons des contacts journaliers passeront à
l’ouest de ces îles. Il n’y a aucun mouillage ni aucune passe, nous regardons
les îles passer.
A peine la nuit tombée, voici les grains qui nous tombent
dessus. Certains mesurant plus de 12 miles (22km) sur le radar. J’ai passé mon premier
quart à zigzaguer entre les grains, ayant des changements de direction de vent
jusqu’à 90°. J’étais heureuse d’arriver en fin de quart pour me coucher 3
heures, pendant lesquels Stéphane a passé un quart bien calme, où il a même dû
faire du moteur pendant 1 heure car plus de vent.
Quand j’arrive pour mon second quart, nous naviguions à 2
nœuds. A peine Stéphane couché voilà le vent qui fraîchit, à tel point que j’ai
dû mettre un ris dans le genois. Les grains étaient de retour ! Et pas des
petits, je mesurais 10 miles sur le radar. Puis voilà des éclairs, à l’arrière
au début, puis à l’avant sur tribord, c’est-à-dire d’où vient le vent ! Ah
non, pas ça, je tiens à notre électronique ! Je mets tout instrument que je
n’utilise pas dans le four, même si ce n’est pas 100% fiable, c’est l’endroit
où ils risquent le moins en cas de foudre. Ne voulant décider seule des deux
options, je vais réveiller Stéphane. On réduit encore le génois espérant que
l’orage passe devant nous, ce qui a été le cas.
Et voilà que les alarmes se mettent en marche, celle du
radar, dans le carré, à cause des grains et en même temps celle de
l’auto-pilote, dans le cockpit, qui avait sans cesse des grands changements de
cap (sous voile, nous le mettons par rapport au vent). Je courrais de l’un à
l’autre, ça n’arrêtait pas. J’ai hésité d’éteindre l’alarme du radar.
Arrivés au bout du grain, nous avions du vent sud-est de
26-28 nœuds pendant plus d’une heure, avec des vagues courtes de 2-3m de
hauteur assez désagréables. J’étais en train de changer de voile avant que
Stéphane, dormant au cockpit, se met à râler. Nos 2 plantes aromatiques lui
sont tombées sur la tête ! C’est pour dire combien on se faisait secouer. Les
fichiers météos nous annonçaient un vent N-E 10 nœuds ! Comme quoi, ce n’est
pas très prévisible, surtout quand il y a des grains qui faussent tout. Une
fois sous foc, la navigation est devenue plus agréable, puis dès le lever du
soleil, et la fin de mon quart, le vent est tombé à 11 nœuds !
Cette nuit m’a rappelé une bande dessinée d’une
plaisancière, alors que l’homme a un quart bien tranquille, la femme rencontre
toutes les difficultés possibles.
Sarah Steenland cartoonist, www.sarahsteenland.com
Le ciel couvert de nuage, les orages, nous sachant en saison
cyclonique, je contacte mon papa. J’arrive à télécharger la météo, vent, vagues
mais pas les vigilances des zones. La réponse n’a pas tardé, vigilance orange
dans les Tuamotu N-E pour orage. Apparemment Météo France fait la grève et
maintient uniquement les vigilances. C’est aberrant de voir que les français
préfèrent faire couler petit à petit leur pays plutôt que d’amener des
changements, surtout que par rapport aux pays alentours, c’est le pays qui
travaille le moins d’heure par semaine et ont les retraités les plus jeunes.
Bref, nous avons appris par la suite que beaucoup de cyclones ont leur source
autour des îles du Desappointement. De plus, lors de notre traversée
Marquises-Tuamotu c’est aussi aux alentours de ces îles que nous avions passé de
nuit dans une petite tempête, vent de force 7 parfois 8 avec des rafales
jusqu’à 44 nœuds, avec une mer bien formée, alors qu’il n’y avait rien de tel
dans les fichiers météo.
Rencontres pas
agréables
Le temps s’est amélioré, mais les vents continuent à être
instables et faibles. Nous sommes lents comme jamais, Stéphane commence à
désespérer qu’il nous faudra encore des jours et des jours à cette vitesse. Je
lui dis « regarde devant-nous, il y a plein de pamplemoussiers qui nous
attendent ! », ça motive !
Une nuit je vois la lumière d’un bateau juste à notre côté,
pas d’AIS, on le voit au radar jusqu’à 2 miles, puis rien. C’est bizarre, on
fait des rondes toute les 10-15 minutes, il n’y avait aucune lumière jusqu’à ce
qu’on soit à côté à 1 mile d’eux. Était-ce des pêcheurs tous feux éteins se
sentant obligés d’allumer car nous arrivions un peu trop près ? Ou des
plaisanciers sans AIS ou juste en mode receveur et qui ont leur réflecteur
radar rangé dans la soute ? Ca parait incroyable ce que j’écris, mais c’est
du vécu, et pas qu’une fois!
Un matin au lever du soleil, Stéphane surveille un
catamaran, un Léopard 46 avec une voile « Mooring Charter » qu’il
voit pointer sur le radar. Il suit une ligne droite qui passe de notre gauche à
notre droite, pille sur nous. Tous deux sous voile et moteur, nous avons la
priorité. Stéphane les appelle par VHF, le seul qui répond c’est un monocoque
bien plus loin. Stéphane ralentit pour les laisser passer 200m devant nous. Il
ne voit personne, il siffle dans la corne de brume, aucune réaction !
Stéph a surveillé ce bateau-fantôme sur 10 miles, pendant environ 2 heures. Ils
devaient faire route sur Fatu Hiva et étaient certainement en train de bien
dormir, les autres n’ont qu’à regarder pour eux. Ça m’énerve des gens comme ça,
et encore plus quand ils n’ont pas d’AIS, qui pour moi devrait être obligatoire
pour du hauturier.
On y arrive gentiment
A un moment, Cyliane vient nous demander si nous allons
refaire la même route dans le sens opposé. Elle n’a pas aimé notre réponse
positive. La lenteur de notre avancement commence même à peser sur les enfants,
qui voient Ua Pou, notre destination, encore si loin sur la carte.
Les 3 bateaux commencent à faire le calcul du reste de
carburant, car nous étions tous beaucoup sous moteur. FOLAVOALH et nous, avons
encore pour 3 jours de carburant, tout va bien pour l’instant. Quant à BELUGA,
avec leurs moteurs hors-bords consommant de l’essence, ça devient juste.
On continue notre route au plus près du vent. Le vent est
instable et change souvent de direction. Etant au plus près du vent, il nous
est arrivé plusieurs fois de faire des virements sans le vouloir. Naviguant à
35-40° du vent, le vent tournant de 60-90° en quelques secondes, l’autopilote
n’a pas le temps de réagir que nous avons le vent du faux côté de la voile et
la voile avant nous fait pivoter. En quelques secondes, le temps de réaliser ce
qui se passe et de venir à la barre, le bateau a fait demi-tour et l’autopilote
se met à crier.
Nos copains plus à l’ouest ont l’air d’avoir la même météo
que nous. On avertit FOLAVOALH qu’on reste vers les 140° attendant le
basculement de vent, sur quoi ils nous disent que les dernières infos météo ont
changé, plus de basculement prévu. Nous restons sur notre position. Alors que
FOLAVOALH et BELUGA font route contre l’est, nous continuons plein nord. Le
vent se met à basculer comme prévu, nous avons passé les 8 dernières heures
jusque sous le vent d’Ua Pou à faire de la voile. Un vent du secteur arrière,
pas trop fort qui nous permettait d’avancer à 6-8 nœuds de vitesse. On s’est
fait plaisir là ! Nous avons même eu la visite de dauphins !
Nous posons l’ancre comme désiré dans la baie de Hakahetau
de Ua Pou, 24 heures avant FOLAVOALH. Ils étaient passés bien plus à l’est de
nous et se sont trouvés tout du long dans la pétole (pas de vent). Quelques
heures après notre passage à voile, il y avait déjà plus de vent sur notre
trace. Stéphane avait bien vu et bien fait de nous amener au point voulu au bon
moment. Quant à BELUGA, ils ont fait cap sur Fatu Hiva pour s’approvisionner
d’un bidon d’essence chez un copain pour rallier Hiva Oa et faire le plein. Ils
sont arrivés quelques jours après nous, mais encore à temps pour le festival
des Marquises.
Ce fut une traversée assez pénible, avec une moyenne de 4.59
noeuds (8.5km/h), nous étions encore plus lents que jamais. 60% du temps de la
traversée, nous avions un moteur qui tournait, soit pour aider ou soit parce
que nous étions complètement sous moteur.