Cap sur Makatea


On lève l’ancre juste avant le lever du soleil, 3 heures plus tard nous sortons par la passe, 3 nœuds de courant avec nous, mais l’eau est plate, la passe droite, aucun souci. Un bateau est sorti bien 1 heure avant nous. Nous le dépassons dans la journée, ils ont le même cap que nous.

Le vent est faible, la mer calme, une belle traversée. On avance bien sur l’eau, mais au sol, nous sommes plus lents car nous avons 1 à 1.5 nœuds de courant contre nous. Nous visons Makatea, mais ne sommes pas certains qu’il y ait encore de la place. Il n’est pas toujours facile de s’y arrêter, il faut que la houle et le vent soit du bon côté afin d’être protégés. Il n’y a que 3 bouées, il est impossible d’y ancrer ça tombe à pic. Les bouées seraient à 2 longueurs de bateau du récif. L’entrée dans le chenal en annexe est parfois sportive avec les vagues. L’île est sur le chemin entre Tikehau et Tahiti, on fait très peu de détour. On va voir sur place et si ça ne va pas, on continue notre chemin. C’est dans cet état d’esprit que nous nous y sommes rendus.

Freinés par le courant, nous approchions l’île au coucher de soleil. Nous ne savions pas l’emplacement exact des bouées. On inspecte aux jumelles tant qu’il y a encore de la lumière, aucun bateau ! C’est une bonne nouvelle, on aura de la place, mais trouverons-nous les bouées ? On nous a conseillés de ne pas prendre celle du milieu, un copain a plongé dessus et trouve qu’elle n’est pas assez bien entretenue.

On s’approche du petit port (pour des petits bateaux, pas pour le nôtre), et cherchons les bouées à l’aide de notre torche. On en trouve 2, où se trouve la 3ème, laquelle est celle du milieu ? Nous en choisissons une et nous y accrochons facilement. 1h30 plus tard arrive le petit bateau que nous avions dépassé. A l’aide de notre torche, nous leur éclairons leur bouée afin qu’ils s’y accrochent facilement.


Makatea, l’île aux surprises

On se souvenait vaguement de nos lectures lors notre arrivée en Polynésie, ça parlait de mines de phosphate, de villages fantôme et de ruines. Nous n’avons rien relu avant notre visite, attendant la surprise de nos découvertes.

La forme de l’île était surprenante, tel un gâteau plat, l’île est entourée de falaises et quelques plages blanches protégées par un platier qui fait le tour de l’île. C’est l’unique île haute des Tuamotu, composé d’atolls. Makatea est également un atoll qui a été surélevé, probablement lors de la formation de Tahiti. L’île trône à environ 80m de hauteur.

Le port et le mouillage se trouvent vers les ruines des tapis-roulants et grues qui amenaient le phosphate aux cargos. On y trouve encore des pieds en béton, la tour sur laquelle on pivotait le tapis roulant ainsi que le poids et le rail qui maintenait l’arrière du tapis. Le platier est parsemé d’ancres, pliées et bétonnées, qui devaient servir à amarrer certains bateaux.


Industrie en ruine

On prend la route amenant en haut de l’île, que c’est raide ! Les enfants décrètent qu’elle serait trop pentue pour la dévaler en luge!

En haut du chemin, nous tombons sur un treuil, recouvert par de la verdure. Juste à côté, il y a une grande place avec une maison en ruine et à côté une plateforme avec plein de tours et autres machines à travailler le métal. Toutes ces machines sont complètement rouillées, à faire pâlir les collectionneurs. Elles sont exposées aux intempéries car la maison dans laquelle elles étaient n’existe plus. On distingue au centre une barre d’entraînement, on imagine par le placement des machines que toutes devaient être entrainées par cette barre à l’aide de courroies. Dans la maison en ruine, il y a aussi quelques machines. Des poteaux électriques ou téléphoniques sont à voir un peu partout.


On suit le chemin, bifurquons à gauche car on suppose qu’il doit y avoir un beau point de vue sur le platier et notre mouillage. Nous suivons le chemin qui longe la falaise afin de ne pas déranger les gens dans l’habitation au bord de la falaise et nous tombons sur un magnifique point de vue. Nous admirons les ruines du transport du minerai aux bateaux d’un autre angle. Un peu plus loin, il y a les ruines de la maison du capitaine de port de l’époque.


Nous rebroussons chemin et continuons en direction du village. Nous arrivons sur l’épave d’une locomotive. Un peu plus loin, les chemins se séparent, on choisit de se rendre à gauche, où nous entendons de la musique. Nous tombons sur une pension qui est aussi un magasin et un restaurant. Nous sonnons, personne ne répond, les gens ont l’air affairé à l’arrière en train de refaire une toiture en palmes tressées (feuilles de palmier). Alors que nous décidons de tenter notre chance plus tard, une voiture s’arrête et nous interpelle. C’est le frère du tenancier, il sort de sa voiture et va le chercher malgré qu’on l’informe qu’on peut très bien repasser plus tard.

Le tenancier nous ouvre son magasin, où nous achetons quelques boissons et il commence à nous raconter plein de choses intéressantes sur l’île, il nous conseille d’aller visiter et nous baigner à la grotte et nous propose de visiter son potager.


Tout pousse sur cette île, grâce au phosphate, un engrais naturel qui se trouve dans le sol, à peine à quelques centimètres au-dessous de la terre. Il a un grand potager, pour sa famille, son magasin et a en projet de se mettre à l’agriculture pour d’autres atolls. Nous souhaitons que son projet aboutisse, ce serait super. Il a un poulailler fait maison, tout simplement et bien conçu. C’était une visite très sympa, adultes et enfants ont beaucoup apprécié.

On s’arrête à la mairie, que j’avais avertie de notre arrivée. Dans leur salle se trouve plusieurs images de l’époque de l’extraction du phosphate. A la sortie du village se trouve l’école, une classe unique pour les enfants jusqu’à l’âge de 11 ans, ensuite ils se rendent généralement au collège de Rangiroa.

Photos exposées à la salle communale de Makatea

 

Traversée de l’île

On suit l’unique chemin, il amène du côté est de l’île. On nous a dit « la hauteur originale de l’île, c’est le chemin, tout ce qui est plus bas, ils nous l’ont pris ». La mine était à ciel ouvert, les gens grattaient le phosphate entre les pierres calcaires, qui étaient originellement du corail. Aujourd’hui on voit ces pierres, qui ressemblent à du basalte un peu plus clair, qui pointent et autour, c’est des trous. Là où il est resté assez de terre, des arbustes ont poussé, la végétation a repris possession de l’île.


2 garçons nous ont accompagnés un bon bout, ils étaient de l’âge de mes 2 derniers. L’un d’eux avait quelques cocos avec lui, pour poser des pièges à crabes de cocotier. Il m’a montré comment poser les pièges, que les hommes vont contrôler en milieu de nuit pour attraper les gros crabes.

On suit un petit sentier qui amène au belvédère, un point de vue juste au-dessus des falaises. Au pied, on voit un grand plateau plein de cocotiers, quelques maisons, puis une plage de sable blanc et le platier. On est face au vent, peu de gens vivent de ce côté de l’île.

On retourne sur le chemin pour descendre à la grotte. La descente est raide, tout autant que de l’autre côté de l’île. Sur les côtés, on voit des câbles, attaches et cordages pour de l’escalade. Nous n’avons pas pris rendez-vous, ni les chaussures adaptés, on continue notre chemin.

La grotte est ouverte sur une bonne largeur, et descend en profondeur, tel un gouffre. Les enfants appellent, puis lancent quelques cailloux pour voir s’il y a de l’eau. Je descends au fond, le sentier est bien entretenu mais un peu raide, Stéph reste en haut avec les enfants. Il y a quelques stalactites et stalagmites liées telles des colonnes. Au fond se trouve la piscine, un petit bassin suivi d’un plus gros. Je me baigne dans le petit bassin et suis entourée d’une odeur citronnée, qui me rappelle les feuilles de citronniers. Plus tard j’apprendrai que ce n’était pas mon imagination, les locaux vont s’y baigner et se laver les cheveux avec des combavas, un agrume. Nous avons testé, c’est un shampoing et surtout après-shampoing efficace !


Lors de notre retour, nous avons eu la chance de recroiser le frère du tenancier de la pension, il nous a reconduits au village. La grotte étant à environ 3km du village, qui lui se trouve à bien 1km du port, nous étions bien heureux de nous économiser 2km de marche.

 

Fifi et Jean-Marie

Nous voulions voir à quoi ressemblent les crabes de cocotier, ce pourquoi nous voulions retourner au village avant de retourner au port. Pensant que la personne qu’on voulait visiter n’avait plus de crabes, il nous a emmenés chez lui. Nous avons passé du temps avec son épouse alors qu’il repartait chercher un crabe afin de nous le montrer.

L’animal est violacé, assez grand et le corps fait penser à une langouste ou à un Bernard l’Hermite sans coquillage, car il tient sa queue enroulée sous son ventre. Il grimpe sur des branches sans problème. Beaucoup de plaisanciers commandent le repas à la pension quelques jours avant leur arrivée afin de s’assurer d’avoir des crabes de cocotier. Comme ils les mettent vivants dans l’eau bouillante, ça ne nous a pas donné envie de demander à en goûter.

Il était déjà passé midi lors de notre arrivée chez eux. Fifi nous demande si nous avons déjà déjeuné. Non pas encore, mais nous pensions passer à la pension ou retourner au bateau. Sur ce, Fifi nous a mis la table, nous devions manger chez eux. Elle était très convaincante, alors on s’est retrouvés à partager le repas que sa belle-fille et elle ont préparé. C’est incroyable, ils ont eu 5 invités surprise et il y avait plus qu’assez, les casseroles étaient encore à moitié pleines à la fin du repas!

Nous avons discuté de plein de choses, de l’histoire passionnante de leur île, de Tahiti où ils travaillaient, de la Suisse... Un vrai échange, exactement ce que nous aimons.


 

Visite de l’île

Puis Jean-Marie nous propose de nous montrer leur centre hybride et l’ancien « Champs Elisées » de l’île. Le centre hybride est l’endroit où ils produisent l’électricité de l’île, pour la plupart avec les panneaux solaires, mais dès que le courant manque, les groupes électrogènes se mettent en marche.

Nous nous promenons avec Fifi & Jean-Marie et leur petit-fils sur l’ancienne rue principale de la ville, qui se trouve dans la forêt à présent. Ils nous racontent l’histoire des ruines, des poteaux de téléphone, nous montrent la boucherie avec la fabrique à glace juste à côté, puis le four à pain de la boulangerie dont plus rien d’autre ne reste.

Ils nous racontent les dalles qui restent, celle de l’ancienne église qui a été démontée, déménagée à Tahiti et remontée, celle du magasin de la compagnie qui exploitait le minerai, le train passait au-dessous du magasin, et ils le déchargeaient par une trappe dans le sol. Les châteaux d’eaux remplis chaque matin tôt par les pompes qui puisaient au milieu de l’île, afin que tous aient l’eau courante pendant la journée. Nous voyons encore quelques rares maisons d’habitations en bois de l’époque qui ne sont pas encore tombées.

Merci Fifi & Jean-Marie pour votre générosité et votre temps. Nous avons passé de très bons moments en votre compagnie et espérons que nous routes se recroiseront un jour.


L’histoire de Makatea

Makatea a été la capitale économique de la Polynésie pendant plusieurs années. Le phosphate extrait de l’île était l’exportation principale du pays de 1911 à 1966. Les cargos déchargeant le fret pour la Polynésie à Makatea, d’où il était distribué. Makatea était très moderne, l’eau courante et l’électricité était présente partout, le téléphone était également bien présent. Ils avaient des écoles, un cinéma, plusieurs magasins. C’était une ville bien plus moderne que ne l’était Tahiti.

Ils étaient un peu plus de 3000 habitants, séparés dans des quartiers selon leur lieu d’origine, car la plupart venaient d’ailleurs en Polynésie ou d’Asie. C’était l’île la plus peuplée des Tuamotu.

Presque tous travaillaient pour la Compagnie Française des Phosphates d’Océanie. Ils ne recevaient qu’une partie de leur salaire, le reste était des bons d’achats dans le magasin de la Compagnie. Les mineurs avaient un quota de 120 charrettes à remplir pour la Compagnie, le reste étant leur salaire. Le meilleur mineur, originaire des îles Australes, arrivait à remplir 500 charrettes !

Après avoir extrait près de 11 millions de tonnes de phosphate, les réserves ont commencé à s’épuiser. En un an, l’île a été abandonnée, les maisons, les machines et les trains délaissés. Ils sont passés de plus de 3000 à 20 habitants. La plupart sont partis à Moruroa travailler pour les essais nucléaires.

Les 20 habitants restants n’ont pas dû avoir la vie facile. Certes, ils avaient de tas de maisons meublées et pouvaient changer d’habitation comme bon leur semblait. Mais ils sont passés d’une ville moderne à des villages fantôme, d’une île desservie en premier par une île desservie par un cargo tous les 2 ans ! A présent ils sont environ 80 habitants.

Le maire de Rangiroa, qui gère entre autre Makatea, ainsi que le maire délégué de Makatea auraient fait appel à des spécialistes pour savoir ce qu’il en est des réserves de phosphate. Des australiens feraient pression pour réouvrir les mines. Nous espérons que ce projet n’ait pas lieu, car avec les moyens d’aujourd’hui, ce ne sera pas des milliers de mineurs qui creuseront entre les pierres, mais de grosses machines qui vont raser le tout. Le projet de l’entreprise australienne serait de redonner l’île au bout d’un certain nombre d’années complètement plate avec quelques mètres de moins.


 

Plongée

La couleur indigo de l’eau au mouillage nous a attiré. Ayant passé plus de temps sur l’île que prévu, nous décidons de reporter notre départ de 24h. Le lendemain, après une visite au village, nous enfilions nos combinaisons pour voir le tombant sur lequel nous étions mouillés.

Les 3 bouées étant prises, un bateau charter s’est attaché à nous et le skipper est resté à bord, ainsi nous avions une surveillance pour nos enfants.

Nous descendons le long de notre mouillage. La bouée est attachée à une grosse chaine, prise dans le corail à 10m de profondeur. Le tombant tombe à pic. Effectivement il est impossible d’ancrer par ici et fort heureusement, car le tombant est rempli de corail !

Un requin pointe noire passe et semble ne pas savoir comment nous prendre. Par deux fois il semble vouloir nous venir contre puis change d’avis et part. Nous admirons poissons et coraux. Nous voyons 5 astéries couronne d’épines, un genre d’étoile de mer toxique qui se nourrit de corail. Ce sont les fameuses étoiles qui ont dévasté une bonne partie des récifs dans la Mer Rouge. Espérons qu’il n’arrivera pas pareille chose par ici.