Dimanche en fin d’après-midi je reçois un message bien triste. Eddie, le fils du bateau SEPTEMBER AM (ceux que j’ai aidés pour l’organisation et la surveillance de leur examen au collège de Taiohae) a été tué, heurté par un bateau alors qu’il faisait du snorkeling à Moorea. Eddie avait 14 ans, on les avait fêtés fin janvier sur la plage de Nuku Hiva.
Encore le soir d’avant, nous parlions de Moorea avec les
TEMPTATION, que c’était un endroit dangereux, les prestataires touristiques
foncent entre les bateaux au mouillage, que ce soit les jet-skis des hôtels,
les bateaux de plongées, les bateaux de location, personne ne respecte la
limitation de vitesse. Ils foncent, ils s’en fichent, en plus ils ne veulent
plus de voileux à Moorea ! C’est d’ailleurs pour ça que nous avions
presque toujours mouillé au fond de la baie de Cook, l’eau y est brune, mais au
moins on y était plus en sécurité !
J’en informe l’association des voiliers de Polynésie (AVP),
qui avaient déjà eu l’information. Le lendemain matin, rien à la radio. Puis
certains journaux se contentent de recopier le message qu’a laissé l’AVP sur
leur page Facebook. On se pose des questions pourquoi l’information met tant de
temps à sortir, on en déduit que le conducteur devait être un local.
Dans l’après-midi ça passe enfin à la radio. Là nous
apprenons qu’il s’agit d’un bateau de prestataire touristique, qu’Eddie a été
blessé à la tête et au torse, qu’ils n’ont pas pu le réanimer, malgré que deux
médecins étaient sur place avant l’arrivée de l’ambulance.
Barbara, la maman d’Eddie a laissé un message sur le groupe
Facebook, comme quoi il était près du bateau en train de contrôler l’ancre.
D’autres personnes auraient décrit la scène sur Facebook, comme quoi un Zodiak
zigzaguait à une certaine vitesse entre les bateaux ancrés. Il serait parti
après l’accident pour revenir ensuite.
Mes enfants sont choqués, car eux aussi nagent autour du
bateau, mais surtout car Eddie était leur ami, qu’ils avaient passé pas mal de
temps ensemble à Nuku Hiva pendant plusieurs mois. Longtemps, on était que 4
bateaux d’enfants, forcément, ça soude les amitiés.
3 jours après l’accident nous étions de passage à la marina
et alors que nous sortions pour aller manger une glace je tombe nez à nez avec
Barbara qui m’a sauté dans les bras. Peu avant j’avais hésité à aller demander
à Amelie (la sœur d’Eddie) de nous accompagner, ne sachant pas si ce serait le
bienvenu. Amelie est arrivée juste derrière sa maman et a sauté dans les bras
d’Elina. Je suis partie avec les 4 enfants au resto manger une glace. Je
suppose que ça lui a fait du bien, elle a eu plaisir, mais cette petite est
dévastée et ça crève le cœur. Des accidents pareils, c’est révoltant !
Barbara m’a ensuite parlé de la cérémonie qu’elle voudrait
qu’on l’aide à organiser. C’est une cérémonie que font les polynésiens quand un
surfeur meurt. On se retrouve sur l’eau en cercle, et on jette des fleurs à
l’eau. J’ai bien voulu l’aider, mais Barbara est si active à organiser mille et
une choses, qu’il n’y avait pas grand-chose à faire.
La cérémonie
La famille allait se rendre à la cérémonie vers le mouillage
de l’aéroport, où nous étions mouillés. Mais partout dans les mouillages
polynésiens, des Marquises à Maupiti en passant par plein d’atolls des Tuamotu,
et même aux USA, au Mexique, en Europe, des voileux ont fait une cérémonie à la
mémoire d’Eddie.
Ce garçon, ainsi que sa sœur, nous avaient étonnés, de par
leur maturité, leur intelligence, leur gentillesse et leur curiosité à tout. A
la fin du cruisers net, Eddie prenait part en racontant des anecdotes de ce qui
s’est passé ce jour-là dans l’histoire. Souvent il jouait de la musique avec
des autres enfants de bateaux, il était très doué. Voilà pourquoi Eddie était
si connu et apprécié par les voileux en Polynésie et partout où il est passé.
Et les autres qui ne le connaissaient pas, c’est l’accident tragique, qui
aurait pu arriver à tout le monde, qui les a interpellés. Car tous, on rage
quand des bateaux rasent les nôtres à toute vitesse, c’est dangereux !
Nous avons essayé de former un cercle avec les annexes, puis
la famille d’Eddie est arrivée de la marina à la tête d’un convoi d’annexes, le
cercle s’est agrandi. Nous avons compté 37 annexes et petits bateaux. Barbara a
mis de la musique qu’Eddie aimait bien, nous avons frappé des mains. Ensuite
elle nous a demandé de faire du bruit pour lui, aucun son ne sortait de ma
gorge, j’étais trop émue et je ne crois pas avoir entendu d’autre bruit que le
frappement des mains provenant de notre annexe. Nous avons ensuite lancé des
couronnes de fleurs à l’eau.
Nous en avions fabriqués le matin, comme appris aux Marquises. De plus, nous avons reçu des colliers de fleurs d’Andy, le président du Pacific Puddle Jump, l’AVP en a également distribué pas mal. Après avoir fait de grands splach dans l’eau, une fillette suivie d’Amelie se sont mises à l’eau. Elina est allée rejoindre son amie, suivie de près de la moitié des participants et de Cyliane et Timeo. Alors que presque tous portaient leurs masques sur les annexes, à l’eau tous étaient sans, ça ne plaisait guerre à Stéphane. Eddie était l’ami de nos enfants, tant pis pour les gestes barrières en ces moments, Amelie avait besoin du soutien de ses amis. Ce n’est pas une chose normale en tant qu’enfant d’enterrer l’un de ses amis.
Des tas d’images ont été postées sur le groupe French Poly
Cruisers sur Facebook, de notre cérémonie ainsi que des autres, un peu partout
ailleurs. Stéphane a pris des images à l’aide d’une perche. Nous les avons
transmises à l’AVP. Barbara aurait aimé des images de drones, mais comme la
cérémonie a eu lieu à côté de l’aéroport, c’était impossible.
Petite cérémonie au
parc
La suite de la cérémonie se déroulait au parc de Papeete
pour les gens qui connaissaient personnellement Eddie. Les enfants ont voulu y
participer, je les ai accompagnés.
Etonnement, nous étions peu, peut être une vingtaine de
personnes. Barbara avait préparé un grand collage de photos d’Eddie. Elle nous
a raconté sa vie, ses passions. Nous avons partagé des souvenirs. Je me revois
grondant Eddie, car à leur retour de la baie Collette, où les enfants avaient
l’habitude d’aller en groupe (accompagnés d’un ado de 18 ans), Timeo ne voulait
parfois plus marcher, se disait fatigué, alors Eddie le prenait sur son dos,
quitte à se faire mal alors que mon fils a des jambes qui sont pleines
d’énergie ! C’était Eddie, un garçon adorable, parfois trop gentil.
Puis Amélie a joué de la harpe, une fille a joué du violon,
dont une chanson qu’elle avait joué en duo avec Eddie, qui jouait également du
violon.
Barbara avait fait un cake, j’ai amené des biscuits, une
dame a amené des boissons. C’était un moment qui a fait beaucoup de bien à
tous.
C’est une fois la nuit tombée que nous sommes retournés au
bateau. Suivant le chenal marqué de feux sur les bouées. C’est là que nous
avons réalisé qu’entre le début et la fin de la piste de l’aéroport, aucun feu
ne fonctionne. C’est à vitesse d’escargot et en suivant les rares bateaux de locaux
que nous avons rejoint OLENA.
Décisions aberrantes
Je ne peux pas taire les décisions aberrantes qui ont été
prises suite au décès d’Eddie. Comme je l’ai déjà mentionné, Moorea aimerait
bien se débarrasser des voileux, pour le faire les politiciens étaient en train
de faire un nouveau décret, mais suite à l’accident, des politiciens tahitiens
avec le maire de Moorea sont allés visiter les lieux et ont décidé, d’y
interdire l’ancrage ! Un voileux se fait tuer par un local, on punit les
voileux ! Je ne vous cache pas que Barbara, la maman d’Eddie, est
consternée.
Pour vous expliquer l’absurdité de cette décision, il me
faut décrire le lieu. C’est entre la plage publique et le récif corallien, le
lieu n’est pas très large. Les voiliers mouillent contre le récif car le chenal
balisé, limité en vitesse, passe tout près de la plage, donc des
baigneurs ! Depuis bien 3 ans l’AVP (Association des Voiliers de
Polynésie) demande à faire passer le chenal du côté du récif afin de protéger
les baigneurs. Une des politiciennes de Moorea a expliqué à la TV que le
changement de balisage n’était pas envisageable car ça casserait du
corail ! Le chenal proposé étant hors du corail, je ne comprends pas sa
logique.
Les prestataires, toujours plus pressés pour amener toujours
plus de touristes, passent le long de ce chenal, voire même entre les bateaux
mouillés, à toute vitesse, car ils savent que malgré la limitation de vitesse,
ça n‘est pas contrôlé. A présent enlevez
les bateaux au mouillage et devinez la suite. Combien de temps jusqu’au
prochain mort ? La mort d’Eddie n’aura servi à rien. Sans bateau au
mouillage, les prestataires pourront aller encore plus vite, et une petite tête
de baigneur ou snorkeleur ne se voit pas très bien. Je plains les touristes et
les locaux qui auront l’idée d’aller visiter le récif à cet endroit. Ce n’est
pas moi qui voudrais traverser cette autoroute à speed-boats et jet-skis.