C’est le jour de la rentrée scolaire, nous allons essayer d’y inscrire nos enfants. Je me rends au collège avec Elina et vois le directeur. Il nous demande de revenir l’après-midi, ils ne sont pas au jour près pour sa rentrée.
Nous nous rendons à l’école primaire rejoindre Stéphane et
les petits. Nous avons une entrevue avec Mireille, la sympathique directrice
qui nous donne toutes les informations. Mais l’inscription doit passer par la
mairie, où nous nous rendons ensuite. L’après-midi, Elina et moi nous rendons à
nouveau au collège. Une dame de la vie scolaire nous fait visiter les lieux. Le
collège possède un internat, pour tous les enfants qui viennent des autres îles
et vallées. Certaines vallées, comme celle d’Anaho, sont accessibles uniquement
par bateau, à cheval ou à pied. Et comme il n’y a que 3 collèges aux Marquises,
les internats s’imposent. C’est pareil aux Tuamotu.
Nous inscrivons les enfants en demi-pensionnaires,
c’est-à-dire qu’ils prendront le repas de midi à l’école avec les copains.
C’est payant mais pas cher. Et comme par ces chaleurs j’ai horreur de cuisiner
chaud à midi, ça tombe bien.
L’école primaire commence à 7h30, les enfants quittent le
bateau vers 7h00. Le collège commence à 7h00, mais ils doivent pénétrer dans
l’établissement au plus tard à 6h45, Elina quitte le bateau à 6h10. Nous sommes
3 bateaux à avoir des enfants au collège, nous faisons du co-voiturage pour les
amener au quai. Pareil entre BELUGA et nous pour l’école primaire. Tous les
enfants finissent à 15h30, Elina arrivant un peu plus tard au quai, le collège
étant un peu plus loin.
L’école
La discipline nous a beaucoup surpris, en bien. Les enfants
doivent se mettre en rang devant la classe, un rang pour les filles, un rang
pour les garçons. Le professeur les fait entrer un par un et ils se tiennent
debout à côté de leur pupitre jusqu’à ce que le professeur leur dise de
s’asseoir. Comme dans les films où on voit les enfants en culottes
courtes !
Les écoles sont clôturées et les portails surveillés. Les
petits ont autorisation de sortir de l’enceinte que sur accord écrit des
parents. Au collège, nous avons inscrit Elina en libre, comme ça elle peut
sortir dès qu’elle n’a plus cours, sinon elle doit rester dans l’enceinte de
6h45 à 15h30.
Nous avons dû signer un règlement bien complet pour le
collège. Ayant travaillé à l’administration d’une école, je me suis dit qu’on
aurait eu bien moins de souci avec la moitié de leur règlement ! Nous
avons également dû signer comme quoi les enfants se tiendraient bien et
proprement à la cantine.
Mais voilà, entre les papiers et la réalité, c’est tout
autre chose. Elina est tombée dans la classe la plus bruyante du collège, les
élèves ne respectent aucun prof, font beaucoup de bruit pendant les cours et
c’est assez dérangeant pour apprendre.
A la cantine, un surveillant regarde Timeo qui coupait son
steak et lui fait la remarque qu’il serait temps qu’il apprenne à manger avec
les mains. Un jour il y avait des yaourts en dessert, ils ont été servis sans
cuillère au collège. Certains les ont secoués et bu, d’autres ont utilisé leurs
doigts en tant que cuillère et d’autres, comme Elina, ont utilisé un bout de pain
comme cuillère.
Le chemin d’école
Le quai où nous déposons les enfants c’est aussi le quai des pêcheurs. Tous les matins ils s’arrêtent pour voir les pêcheurs ramener leur poisson, les fileter et jeter les restes aux requins Soyeux. Quel spectacle, les requins en grand nombre se ruent sur les restes, giclant parfois les spectateurs sur le quai.
Certains jours, un chasseur vide et prépare une chèvre qu’il a pendue à un arbre. Surprenant pour les Européens, mais quand on sait qu’ici il n’y a pas d’abattoirs, le quai des pêcheurs c’est l’endroit idéal. Au fond, ce n’est pas beaucoup différent que de préparer un poisson.
Les enfants se réjouissaient beaucoup d’aller à l’école.
Après plus de 2 ans qu’on faisait l’école à bord, nous en avions tous vraiment
besoin. Le changement de langue, car nos enfants font l’école en allemand,
n’avait pas l’air de beaucoup soucier les filles. Timeo ne savait pas trop à
quoi s’en tenir, en 2ème année primaire (4ème Harmos,
CE1), il n’a jamais fréquenté la grande école et ça fait juste un an qu’il sait
lire et écrire.
Quel plaisir de retrouver les enfants l’après-midi tout
excités à raconter leur chouette journée à l’école. C’est la bagarre pour
raconter le contenu de leur repas de midi (le même dans les deux écoles) et
pour raconter leur journée en premier.
L’école primaire
Cyliane a une maîtresse qu’ils doivent appeler Madame. En
Polynésie le « vous » n’est pas utilisé, tout le monde se tutoie, les
élèves tutoient les maîtresses. Le « Madame » marque la politesse.
Elle est en 4ème primaire (6ème Harmos, CM1) et se trouve
dans une classe double CM1-CM2 (4-5ème ou 6-7ème Harmos),
classe parallèle de la classe que fréquente Fritz, le fils de BELUGA.
Timeo a un maître et se trouve également dans une classe
double CE1-CE2 (2-3ème ou 4-5ème Harmos).
Tous deux ont été confrontés à la lecture de l’écriture
reliée qu’ils ne connaissent pas. Dans le canton de Soleure, où nous habitions
en Suisse, ils ont arrêté l’enseignement de l’écriture reliée entre les classes
d’Elina et Cyliane. Cyliane a toujours refusé à apprendre à la lire, mais là,
en 2 jours d’école c’était fait ! Par contre la maîtresse l’oblige à
l’écrire, ce qui est un peu difficile.
Timeo a mis un peu plus de temps à apprendre à lire l’écriture liée, il prend
plaisir à essayer de l’écrire, malgré que son professeur ne l’y oblige pas.
Timeo est rentré démoralisé un jour, en m’expliquant qu’ils
étaient au million et que lui ne connait pas ces gros chiffres. J’étais un peu
sceptique, ça fait de gros chiffres pour des élèves de 7-8 ans ! Le prof a
confirmé les dires de mon fils, nous avions du travail à rattraper. Il était
motivé et aime les chiffres, il a vite sauté le pas de 100 au million, mais les
chiffres compliqués à la française avec leur quatre-vingt-dix-neuf etc… ça fait
beaucoup ! Mon fils continue de les nommer septante, huitante et nonante.
Autant Timeo est un peu dépassé par les maths (l’autre jour
il a amené un devoir de CE2, càd un an plus en avant que lui), autant Cyliane
et Elina me disent que pour elles, les maths c’est trop facile, ici ils sont en
arrière par rapport au programme Suisse. Notre programme de maths c’est jusqu’à
20 en 1ère, jusqu’à 100 en 2ème, jusqu’à 1000 en 3ème
et le million dès la 4ème afin de leur donner une bonne base. Mon
impression du programme ici, ils vont trop vite au début, les élèves n’ont pas
le temps de bâtir de bonnes bases et ça se ressent dans la suite de la
scolarité.
Pour l’écrit, c’est une seconde langue, ça prend un peu de
temps. Tous deux s’appliquent, ça fait plaisir. Timeo écrit en phonétique,
c’est assez drôle et mignon. Et quand le professeur fait une dictée de
chiffres, c’est-à-dire qu’il écrit un gros chiffre au tableau et les élèves
doivent l’écrire en lettres, Timeo écrit en français, chiffres par chiffre. Le
professeur lui dit que c’est tout faux, moi je suis fière qu’il ait au moins
essayé de faire quelque chose en français. Un peu difficile d’écrire
trente-huit million quatre cent cinquante-six mille trois cent
quatre-vingt-dix-sept pour mon loulou qui vient de commencer l’école en
français.
Le collège
Elina est en 8ème (10ème Harmos / 4ème
en France) et était aux anges quand elle a vu son horaire. En plus du français
et de l’anglais, ils apprennent l’espagnol et le marquisien ! Physique et
chimie pour son plus grand plaisir et de nouvelles branches comme la
technologie, sciences vie et terre et les arts plastiques ! Elle a
quelques heures blanches, où elle peut faire ses devoirs. En sport ils font du
rugby, du volley et de la pirogue. Les branches sont nouvelles car elle a
quitté l’école Suisse à l’école primaire et qu’au bateau nous faisons
uniquement les langues (D/F/E) et les maths. Le reste on apprend sur le tas
selon les occasions.
Elle a pas mal de tests et se débrouille bien. En tant que
parent, je ne sens pas que le changement de langue l’a dérangée, sauf pour le
français écrit bien sûr, car son niveau n’est pas celui de quelqu’un qui a fait
toute sa scolarité en français.
Comme je l’ai dit plus haut, elle est tombée dans la classe
où la majorité ne sont pas intéressés par l’école. Les tests sont assez
catastrophiques. En français, ils ont fait un test de poésie, branche qu’Elina
n’a jamais faite, elle s’en sort avec un 12/20 alors que la moyenne de classe
est de 6.5/20. Un test d’histoire sur la révolution française (histoire que
nous n’avons jamais vue car pas notre pays), la moitié de la classe a dû
refaire le test car les notes volaient trop bas, alors qu’Elina s’en est sortie
avec une assez bonne note.
Là aussi je ne comprends pas trop leur système. Je sais bien
que la Polynésie appartient à la France, mais les polynésiens ne sont pas des
français. Leur apprendre « nos ancètres les gaulois » qui est
l’histoire d’un pays si lointain de leur île, je comprends qu’ils ne sont pas
très motivés à apprendre. Ils ont une propre histoire qui est très
intéressante.
Un autre plaisancier est dans la classe d’Elina, et quand on
les entend raconter « en français, nous étions 2 et demi à écouter la
prof » ça surprend. Le demi c’était une élève qui avait un écouteur de
lecteur MP3 dans une oreille, de l’autre elle « écoutait » la prof. Le
règlement interdit de genre d’appareil dans l’enceinte scolaire, entre le
règlement et la pratique…
Le retour du
marquisien à l’école
A l’époque de la scolarité de la génération des
grands-parents, il était interdit de parler le marquisien dans l’enceinte
scolaire. Ceux qui le faisaient étaient punis corporellement. Il s’en est
découlé que beaucoup de familles ont un peu délaissé leur langue et
aujourd’hui, peu de marquisiens de 30 ans et moins savent parler leur langue
correctement. Certes, ils parlent un mélange de marquisien et français, mais ne
parleraient plus correctement leur langue. Les seules exceptions sont dans les
vallées reculées et dans les petites îles.
L’inspectrice scolaire des Marquises, selon ses propres
termes, veut « arrêter le massacre » et introduire le marquisien dès
les petites classes. Peu de marquisiens partent en étude, et selon elle c’est
dû au fait que les jeunes d’aujourd’hui sont en manque d’identité. Les jeunes
étudiants marquisiens qu’elle a rencontrés en métropole, souffraient tous du
même problème. Ils ne sont pas français (sauf sur le papier) mais pas
marquisiens non plus car ils ne parlent pas vraiment leur langue ni ne
connaissent complètement leur culture. Le programme de l’école est le même
qu’en France, ils sont instruits comme des petits métropolitains alors qu’ils
ont une tout autre culture et origine.
Au collège, de plus en plus d’élèves manquent de respect
pour les profs français. Beaucoup de profs sont mutés de France pour quelques
années. Les élèves en ont marre d’être « dirigés » par des français
et se gênent parfois pas de le leur faire savoir. D’un point de vue, on
pourrait le comprendre, mais d’un autre, il faut voir que si l’on enlevait les
employés mutés de France, il n’y aurait plus beaucoup de professeurs des
écoles, de médecins, d’infirmiers etc… Trop peu de polynésiens partent en étude
pour ces métiers. Il faut aussi voir que de partir en métropole pour les
études, c’est loin, ce n’est pas si facile et malgré les bourses, pas toujours
faisable. Il y a une université à Tahiti et de plus en plus de lycées
techniques voient le jour parmi les îles. C’est une bonne chose, mais les
distances restent énormes, Les Marquises-Tahiti c’est la distance
Paris-Lisbonne, faisable uniquement en avion ou bateau et c’est assez coûteux.
De plus, certaines îles ne sont desservies qu’une fois par semaine, par exemple
Ua Huka ayant uniquement 14 places d’avion par semaine.