Depuis plusieurs semaines, ce nom est dans la bouche de tous. Il est assez impressionnant de voir la folie qui se passe en Europe avec notre vue d’ici. Nous n’avons pas toutes les informations par manque de TV et d’internet. Tout ça nous dépasse et nous semble exagéré par rapport au peu de morts, qui n’est pas vraiment pire qu’une vague de grippe ou de ceux qui meurent de famine.
Puis voilà que le premier cas arrive en Polynésie, apporté
de France par une Députée. En quelques jours, nous avons 3 cas, dont un Suisse
qui l’a amené à Fakarava (un atoll des Tuamotu). Là, les informations
commencent à fuser, nous commençons à mieux comprendre les raisons de cette
folie.
Les enfants fabriquent des panneaux à l’école « Halte
Coronavirus ». Chaque enfant doit amener son flacon de savon et sa boîte
de mouchoirs. Les gens commencent à ne plus s’embrasser, mais la vie continue.
Le nombre de cas augmente gentiment, sans pour autant être
alarmant. Les élections ont lieu, les gens sont assez nombreux dans les bureaux
de votes, on ne sait pas à quoi s’en tenir. Nous n’avons pas encore de cas aux
Marquises, mais chaque jour il y a un vol qui relie l’île à Tahiti où il y a
« la maladie » comme beaucoup l’appellent ici.
Il reste encore 2 semaines d’école avant les vacances, vu
l’ampleur que ça prend, je m’attends à ce qu’ils ferment une semaine plus tôt.
Le lendemain des élections l’information tombe, les écoles fermeront ce
mercredi à midi. Ils avancent les vacances d’une semaine et ont donné du
travail pour les 2 jours restants. Les étudiants sont rapatriés de Tahiti. Nous
comprenons les familles, mais la répartition dans toutes les îles d’étudiants venant
de Tahiti, ça fait réfléchir tout le monde. Nous espérons qu’ils se tiendront
en confinement 15 jours comme annoncé. Je pense que la plupart l’auront
respecté, mais leurs familles ont continué à aller travailler, faisant ainsi le
lien entre de potentiels porteurs de virus et le reste.
Mercredi les écoles fermaient, le vendredi de la même semaine, nous passions en confinement. Tout est allé très vite ! Entre la vie normale insouciante (jour d’élection) et le confinement, il y a eu 5 jours. Les cas ont augmenté, pas énormément, mais ça fait peur aux gens. Nous n’avons pas les moyens médicaux en Polynésie qu’il y a en Europe. Comme je l’ai déjà écrit, le seul hôpital similaire à ce qu’on connait eu Europe est à Tahiti, à 1500km. Nous avons un petit hôpital à Nuku Hiva, selon les rumeurs ils n’auraient qu’un appareil respiratoire et pas beaucoup d’oxygène. Les 5 autres îles des Marquises comme les Tuamotu ont des dispensaires, tenus par 1-2 infirmier(s) voir un médecin s’ils ont de la chance. En temps normal, les grands malades sont évasanés (évacuation sanitaire) à Tahiti. Mais les derniers vols inter-îles sont prévus 2 jours après le début du confinement, ensuite chaque île sera isolée.
Le vendredi les restaurants commençaient à fermer, c’est
dans l’après-midi que nous avons appris le confinement de 15 jours dès minuit.
Ça nous laisse peu de temps à réagir, j’avais encore des trucs à faire sur
internet, mais c’était déjà déconseillé de s’installer à la terrasse du bistro
fermant. Le confinement a certainement été informé à la radio le matin, mais
faisant école aux enfants, on l’avait éteinte.
L’information est claire « restez chez
vous ! ». Mais comme partout ailleurs, les gens interprètent les
motifs de sortie indispensables à la vie, tels que d’aller travailler,
s’occuper d’une personne, d’aller aux achats de première nécessité ou sport
personnel, comme ils le veulent. Certains ont profité des congés pour aller
faire du surf, faire des fêtes de famille, aller à la plage. Le dimanche déjà
nous avions un nouvel arrêté. Tout accès aux plages, tout sport nautique tel
que la nage… sont interdits. Dès le lundi les ventes d’alcool ont été interdit
jusqu’à la fin du confinement, trop d’abus, trop de problèmes. Le même jour à
Nuku Hiva un couvre-feu de 20h à 5h commençait. Le reste de la Polynésie a
suivi ce couvre-feu quelques temps plus tard.
Les directives de Tahiti par rapport aux voileux n’est pas
encore clair et nous commençons à ne plus trop savoir. Avec le confinement,
c’est devenu plus clair, interdiction de se déplacer, pour ça il faut une
autorisation. Puis vint l’info qu’on devra peut-être se rendre à Tahiti, y
parquer nos bateaux et rentrer chez nous. Il y a deux rallies en route pour la
Polynésie, plus tous ceux qui traversent le Pacifique indépendamment. Chaque
année, 400 bateaux font la traversée, combien sont-ils à déjà être en
route ? Tahiti n’a déjà pas beaucoup de place pour tous ces bateaux et y
abandonner le nôtre pour rentrer en Suisse où nous n’avons plus de chez-nous, ne
nous réjouissait pas. Tous ces bateaux vides à Tahiti, c’est une porte ouverte
pour se faire cambrioler. Notre bateau c’est notre maison avec toutes nos
choses. J’avoue, j’avais peur. Niveau virus nous risquions plus de l’attraper à
nous rendre à Tahiti puis de prendre tous ces transports en communs avec les attentes
dans les aéroports que de rester confinés sur notre bateau. Quelques jours plus
tard, l’info est tombée, le rapatriement c’est pour les nouveaux-arrivants!
Ouf, mais ça rend triste pour tous ceux qui sont en traversée.
La communauté des
voileux
La communauté s’organise. Comme toujours, nous avons le net
(réseautage) le matin, qui est anglophone, car c’est eux qui entretiennent cette
communauté. Certains francophones et autres y participent, mais très peu. La
partie Corona prend vite le dessus et des éditions spéciales peuvent durer
jusqu’à 1h, tant de gens posent des questions.
Kevin du Nuku Hiva Yacht Service se met en quatre pour nous
servir au mieux, et ceci bénévolement. Franchement, il se donne à fond. Il
court les officiels, écoute les nouvelles et est toujours à l’écoute à la VHF,
7 jours sur 7, pour nous répondre. Bravo à lui pour à son engagement!
Deux bateaux francophones ont monté un net francophone et
sont en train d’essayer d’agrandir la communauté. Les informations sont
traduites aux francophones et là aussi, chacun pose ses questions. Plusieurs
bateaux suivent les deux, et le nombre de la communauté française s’agrandit.
Malheureusement il y a toujours des récalcitrants qui se fichent complètement
du confinement et continuent à faire ce qu’ils veulent et par conséquent des
choses interdites. Leur comportement risque de ternir la réputation de tous les
autres voileux malheureusement.
La maladie est arrivée de l’étranger par les airs. Mais les
locaux se souviennent encore de l’histoire des Marquises. Il y a 120 années
seulement, les blancs sont arrivés par bateaux et ont amené des maladies qui
ont tué plus de la moitié de la population des Marquises ! Notre présence
en grand nombre est tolérée, en temps de crise nous avons intérêt à tout faire
pour continuer à l’être.
L’hôpital de Taiohae recrute du personnel médical pour le
cas où nous passerions en crise. Nous avons fait une liste de toutes les
habilités des voileux au mouillage, nous avons des médecins, infirmières,
sage-femmes et beaucoup de techniciens, réparateurs en tout genre… Nous avons
proposé notre aide bénévole à l’hôpital et à l’administration de la ville. La lettre
aurait eu un bon accueil et c’est sorti dans les journaux de Polynésie.
Confinement sur un
bateau
La vie en confinement n’est rien de nouveau pour les
voileux. De par les traversées, nous sommes habitués d’être confinés un certain
nombre de temps sur notre bateau sans se baigner. Le fait d’être à l’ancre,
nous avons de grands avantages par rapport aux traversées. Nous pouvons dormir
toute la nuit, ne sommes pas dérangés par les vagues et n’avons pas de
navigation à faire. Les enfants peuvent aller jouer à l’avant du bateau sans
gilet et sans s’attacher, et en plus on a plein de contact par VHF avec les
autres !
De plus, on peut aller à terre si besoin. Qu’une seule personne
par bateau, munie d’une attestation qui dit exactement où elle va et de son
passeport. Il y a un contrôle de personnes toutes les 300m. Ça ressemble fort à
ce qu’on voit dans les films de guerre, avec la différence qu’ici, les gens ont
le sourire et personne n’a peur.
Les bateaux de fret sont arrivés en début de semaine de
confinement, amenant de la nourriture, du fuel, du gaz et plein d’autres
choses. L’Aranui, un bateau mi-fret mi-paquebot est arrivé avec un certain
retard dû à l’interdiction d’embarquer des passagers.
Le lendemain de l’arrivée de l’Aranui, à 6h30 j’allais faire
la file devant l’un des magasins (épicerie). Ici la vie commence tôt le matin,
les magasins ouvrant à 5h30 ! Passée les postes de contrôles, où l’un
d’eux se souciait de savoir comment ça se passait avec les enfants à bord, je
découvris l’organisation de certains magasins. Les portes d’entrée et de sortie
ont été barricadées par des tables. Les employés à l’intérieur s’efforçant de
servir les clients. Avertie par le net, j’avais fait une liste et l’employée a
pu faire tous mes achats sans problème. J’ai pu avoir des yaourts fraîchement
amenés par l’Aranui et même des œufs ! Les fermes livrant dans
l’après-midi, c’est généralement vide le matin.
Les parties négatives de notre confinement, c’est la perte
des accès Wifi et la reprise de l’école à bord. Bien sûr, il y a aussi le fait
de ne pas pouvoir continuer notre voyage comme nous en avions l’idée, mais ça, ce
n’est pas la première fois que le voyage ne se déroule pas comme on l’aurait
voulu. On essaye de suivre nos idées et on fait avec les possibilités que la
météo et l’état de notre bateau nous donne. Là c’est ni l’une, ni l’autre et
c’est mondial. Nous sommes de loin les moins à plaindre.
Comme tous les pays suivants sont fermés, et que nous ne
savons pas combien de temps durera cette crise, nous avons déjà averti les
enfants, que si nous ne pouvions pas quitter la Polynésie française avant fin
septembre, nous resterons ici un an de plus, afin de nous abriter de la
prochaine saison cyclonique qui est d’octobre à fin mars.
Les LIBECCIO, ex-ARRLUUK
Une famille américaine avec qui nous avions passé un certain
temps ensemble aux Caraïbes ont changé de bateau et pris part au rallie
World-ARC. Nous nous réjouissions de nous retrouver aux Marquises.
Malheureusement, les retrouvailles n’étaient pas comme imaginées.
Deux jours avant le confinement ils nous contactent, nous
informant que le Word-ARC a été suspendu et les participants sont priés de se
rendre à Tahiti pour se faire rapatrier. Les participants du rallie étaient censés
faire leur entrée polynésienne à Hiva Oa, ils ont dérouté sur Nuku Hiva, car
nous y étions.
Le lendemain matin je me suis rendue à la gendarmerie pour
me renseigner. On avait pas mal d’infos par Kevin et autres, mais ayant un cas
particulier à bord, j’ai préféré me déplacer. La réponse était catégorique, ils
ne font plus d’entrées, il faut aller à Tahiti. Dans le même temps, leur bateau
copain a contacté téléphoniquement l’administration et reçu l’information du
maire comme quoi ils sont les bienvenus, il n’y avait qu’à se rendre à la
gendarmerie le lendemain.
Ils sont arrivés dans l’après-midi. Nous avions acheté une
bonne quantité de fruits et légumes au marché pour eux, sachant que le marché
serait fermé l’après-midi. Heureusement qu’on avait fait ça, car le marché n’a
pas eu l’autorisation d’ouvrir avant le lundi ! Ils étaient heureux de
notre démarche.
Malheureusement, la gendarmerie ne fait pas d’entrée le
week-end et ils se sont retrouvés avec les gendarmes que j’avais vus. Ils n’ont
pas pu faire leurs entrées. Les LIBECCIO ont fait le plein de provision et fuel
et ont demandé leur autorisation de quitter le territoire. Etant américains,
ils sont partis le mardi pour Hawaii. Ils ont fait 16 jours de traversée puis 4
jours de pause pour repartir en traversée d’environ 2 semaines.
A leur place nous aurions certainement fait pareil, mais
nous étions quand même tristes de les voir partir. On s’est juste vus du dinghy
au bateau et parlé à la VHF. Ils auraient tant voulu nous faire visiter leur
catamaran de 65 pieds. Car c’est « à cause de nous » qu’ils ont
acheté un catamaran ! Steve avait demandé à l’époque de visiter notre
bateau et avait des tas de questions techniques. En fait il était à la
recherche du bateau qui convenait pour leur tour du monde !